La capacité à créer ou recréer du collectif apparaît comme le grand challenge de cette rentrée. La Psychologie positive offre sur ce point des réponses novatrices, concrètes et efficaces.
Il suffit de parler autour de soi pour s’en rendre compte : la rentrée est compliquée. Après un confinement qui a été vécu de façon très différente suivant les personnes, un dé-confinement où le télétravail est resté la norme pour beaucoup, des vacances d’été vécues en mode « évasion ++ » et un retour au bureau plombé par les précautions sanitaires, le port du masque et les inquiétudes pour le futur… depuis 6 mois, la dimension collective a été sérieusement mise à mal dans les entreprises. Eparpillée par petits bouts façon puzzle. Et pourtant elle est plus que jamais essentielle. Dans un contexte où l’acronyme VUCA – Volatile, Incertain, Complexe et Ambiguë – n’a jamais été aussi pertinent, identifier et mettre en œuvre des solutions innovantes pour perdurer et rebondir passe impérativement par le fait d’augmenter fortement l’agilité des organisations. Qui dit agilité organisationnelle dit forcément intelligence collective. Et qui dit intelligence collective dit… collectif ! CQFD.
Comment faire, donc, pour recréer du collectif et réenclencher la dynamique du « faire ensemble » dans une période propice à la crispation, à l’immobilisme ou au repli individuels ? Réponse : en repartant précisément de l’individu. Et en transformant du même coup le problème – l’atomisation du groupe – en solution.
Je Puissance Nous
C’est là qu’il convient de repréciser un point important. Pour illustrer le concept d’intelligence collective, on a souvent recours à ces magnifiques images de bancs de poissons ou d’oiseaux qui se déploient et changent de direction tous ensemble à la vitesse de l’éclair pour s’adapter aux imprévus. Sauf que pour l’observateur humain, rien ne ressemble plus à un canard sauvage qu’un autre canard sauvage. Or, on ne le soulignera jamais assez, développer l’intelligence collective humaine au sein des organisations passe par une meilleure prise en compte des personnes dans ce qu’elles ont d’unique – leurs forces, leurs émotions et leurs ressources propres – et par le fait de permettre à chacune de se relier à l’objectif commun en se fondant sur ses propres motivations.
De fait, chez les humains que nous sommes, l’intelligence collective part toujours de l’individu, de ses motivations intrinsèques à adhérer au collectif. Et cette adhésion ne peut être forcée. On peut nous mettre dans un groupe (un service, une équipe…) mais nous et nous seuls avons le pouvoir de décider d’adhérer ou pas à ce collectif. Lorsque nous choisissons de le faire, c’est à la fois parce que nous percevons le groupe comme une ressource – l’union fait la force – et adhérons à une intention partagée, mais aussi, et c’est très important, parce que nous nous percevons comme une ressource pour le groupe et que nous sommes reconnus comme tel du fait de nos qualités propres. Rien n’est plus démotivant que de se sentir remplaçable sans que cela fasse la moindre différence. Et pourtant, le credo du « nul n’est irremplaçable » modèle encore beaucoup de notre culture organisationnelle.
Evidemment, un même poste peut être occupé par différentes personnes dans le temps mais nous sommes fondamentalement des êtres de contribution, nous aimons nous sentir utile, sentir que nous avons de la valeur non seulement par ce que nous faisons mais aussi par ce que nous apportons dans notre singularité. Cela nourrit à la fois notre besoin de sens et notre besoin de reconnaissance, a fortiori dans les situations d’urgence, de complexité ou de risque, car le fait de contribuer à un «Tout » auquel on adhère (un projet, une mission, une raison d’être…) donne du sens et constitue un point d’appui et de réassurance personnelle. A l’inverse, quand on se sent seul, sans relation avec les autres à travers un projet commun, alors le sens pose problème. Le film « Le grand Bain » montre bien la puissance de ces différents besoins – besoin de valorisation, besoin d’appartenance et besoin de sens – lorsqu’ils peuvent s’exprimer . Il raconte l’histoire de plusieurs hommes qui, en relevant ensemble un défi assez décalé – devenir une équipe masculine de natation synchronisé alors qu’aucun d’eux ne nage particulièrement bien – retrouvent chacun un sens à leur vie et l’estime d’eux-mêmes. Et décrochent ensemble le titre européen ! L’effet magique du « Je puissance Nous ».
Pour créer des collectifs forts, réinsuffler l’envie d’œuvrer à un but commun et donner du sens, on peut donc agir efficacement grâce à deux leviers :
- promouvoir une culture managériale qui permette à chacun d’être conscient de ses forces et de ses ressources pour les mettre au service du collectif.
- développer une intelligence émotionnelle positive pour favoriser la qualité des relations et la reconnaissance de la valeur contributive de chacun
Sur ces deux dimensions, la Psychologie positive offre des éclairages et des outils novateurs qui permettent de passer de l’intention à la mise en œuvre. Et de le faire non comme une contrainte de plus dans un quotidien déjà bien chargé, mais au contraire dans le plaisir et l’énergie !
Permettre à chacun d’être conscient de ses forces et de ses ressources
L’approche des Forces est l’un des grands apports de la Psychologie positive. Elle repose sur la prémisse que nous avons tous des Forces personnelles qui peuvent être décrites comme des qualités, « des façons particulières de penser, de ressentir ou de se comporter » qui correspondent à la fois à notre moi le plus authentique et à nos zones d’excellence. Ces forces personnelles sont très diverses. Pour certains c’est par exemple la créativité (la propension à inventer de nouvelles solutions), pour d’autres l’empathie (l’aptitude de se relier naturellement aux émotions d’autrui) ou le goût pour l’apprentissage, pour d’autres encore c’est le courage (la capacité à dépasser ses peurs pour agir). Un peu comme les super-pouvoirs des X-Men ou des Avengers, même si elles sont moins spectaculaires, nous sommes nés avec et lorsque nous nous en servons, nous sommes à la fois dans notre zone de performance et de plaisir. Alors évidemment, nous sommes tous, et c’est heureux, plus ou moins capable de créativité, d’empathie, de courage ou d’apprentissage, mais si vous faites parti des personnes pour qui ces qualités-là sont des Forces, alors cela signifie que vous les exercez nettement mieux et avec une grande facilité. Et, cerise sur le gâteau, lorsque vous les utilisez, vous vous rechargez littéralement en énergie vitale. Nos Forces sont à la fois nos moteurs et notre carburant.
Le hic c’est que, bien souvent, nous ne les connaissons pas vraiment ou alors nous ne les reconnaissons pas en tant que telles, négligeant le gisement de valeur qu’elles représentent. Pourtant une personne dotée de la force « humour » est ainsi une vraie ressource pour insuffler de la joie et une bonne ambiance dans un groupe. Une autre dotée de la force « optimisme » est tout aussi précieuse pour redonner de l’élan quand le ciel s’obscurcit. Il nous arrive aussi fréquemment de confondre nos forces avec nos compétences qui sont des aptitudes que nous avons appris à mettre en œuvre, que nous pouvons même faire très bien mais qui nous drainent de notre énergie. Posez-vous la question. Êtes-vous sûr de bien connaître vos forces ? De les utiliser de façon optimale ?
L’apport de la Psychologie positive est d’apporter des façons concrètes d’identifier, de nommer et de mieux utiliser nos forces au service de nos performances et de notre épanouissement. De fait, permettre à chacun d’identifier ses forces puis de les utiliser de façon plus consciente et délibérée, c’est permettre aux individus d’être directement en prise sur leurs moteurs de vie, sources à la fois de motivation, de sens, et de résilience. Les organisations qui développent cette approche dans leur management peuvent en tirer une multitude de bénéfices, en particulier pour redonner un nouveau souffle à leurs équipes et nourrir la dimension collective. Plus les personnes se sentent en confiance et reconnues pour ce qu’elles sont et apportent au groupe, plus elles ont une vision positive d’elles-mêmes et de leurs collègues, plus elles sont en mesure de donner le meilleur d’elles-mêmes, d’avoir des relations positives et de coopérer. C’est tout le principe d’une équipe de sportifs ou encore d’une troupe de théâtre. La devise de la Comédie Française est d’ailleurs « Simul et singulis », ce qui signifie « ensemble et chacun dans sa singularité ». Exactement comme dans le Grand Bain.
En résumé, l’approche des Forces est à la fois ultra-bénéfique pour les personnes et pour les organisations : elle nourrit de façon incroyable la confiance en soi et en les autres et constitue un atout dont il serait dommage de se priver.
Développer une intelligence émotionnelle positive qui favorise la qualité des relations
Grâce aux neurosciences, nous savons aujourd’hui que nos émotions font partie de notre équipement vital pour nous adapter en temps réel à notre contexte, perdurer et nous épanouir. On sait aussi grâce aux travaux des psychologues Anita Wooley (Carnegie-Mellon) et Tom Mallone (MIT Center for collective intelligence) repris par Emile Servan-Schreiber dans son livre « Supercollectif »– que l’intelligence collective d’un groupe est plus liée aux capacités d’intelligence émotionnelle de ses membres qu’à leur QI. Or l’intelligence émotionnelle qu’on peut définir comme la capacité à identifier, intégrer, réguler et utiliser nos émotions pour mieux agir, peut s’appréhender en 2 grandes aptitudes : la première consiste à mieux se relier à nos émotions négatives (peur, colère, tristesse, frustration…) pour moins les subir et mieux interagir avec les autres ; la seconde, moins connue, consiste à exploiter le formidable potentiel de nos émotions positives (joie, fierté, gratitude, curiosité, amusement…) comme levier de performance, d’adaptation et de résilience individuelle et collective. L’intérêt de l’intelligence émotionnelle pour le collectif est donc à la fois de nous aider à mieux gérer « ce qui frotte & pique » mais aussi de nous permettre de mieux prendre appui sur ce qui nous donne de l’élan.
Là encore la Psychologie positive apporte des éclairages et des leviers précieux avec un focus spécifique sur le rôle et les bénéfices spécifiques des émotions positives pour les personnes et pour les organisations.
Rassemblés sous le nom de théorie « Broaden & Built » – Elargir et construire – , les recherches de la neuroscientifique Barbara Fredrickson ont montré que les émotions positives sont une ressource particulièrement puissante pour nous permettre de développer tout à la fois nos capacités de résolution de problèmes, nos capacités d’apprentissage, notre bien-être, notre résilience ET nos aptitudes à coopérer. Elles constituent l‘antidote par excellence aux crispations individuelles et au repli sur soi. Des études montrent qu’un des grands prédicteurs de réussite d’une équipe est ce que les membres ressentent les uns par rapport aux autres. Il suffit de voir la différence entre l’équipe de France de football de 2010, – celle qui n’est jamais descendue du bus…. – minée par des querelles de personnes – et celle victorieuse de 2018 soudée par une authentique camaraderie, pour comprendre à quel point la qualité des relations est clé pour insuffler un esprit d’équipe et nourrir le collectif. Lorsqu’on éprouve des émotions positives, on ne se pose jamais la question du sens et nos relations à autrui sont un canal privilégié pour les stimuler. D’où l’importance de prêter une attention particulière à l’établissement et au maintien d’interactions positives et fréquentes, y compris avec masque ou par écran interposé. Car seules les bonnes relations permettent réellement l’échange productif d’informations et la collaboration à travers la reconnaissance de la valeur contributive de chacun.
En conclusion, pour créer ou recréer du collectif, il est certes indispensable de fixer un cap commun qui fasse sens. Mais il est tout aussi indispensable de veiller à ce que chacun ait une image de soi positive et soit en capacité d’impulser une dynamique émotionnelle positive en favorisant la confiance et l’affirmation joyeuse des singularités. On s’y met ?